L'addiction au porno
Sommaire :
1- Utilisation du terme addiction
On parle d'addiction car l'addiction est une participation/implication répétée avec une substance ou une activité, en dépit du mal qu'elle peut causer, parce que cette implication a été (et peut continuer) plaisante et/ou valorisante.
Pour autant, chaque personne aura des spécificités dans les stimuli déclenchant des pulsions/envies sexuelles, les différents contextes environnementaux/émotionnels/cognitifs/ corporels spécifiques à une consommation, les fonctions que remplit le comportement addictif, son histoire avec la consommation de porno et la sexualité, les conséquences positives et négatives du comportement, la fréquence de visionnage et le type de contenu, etc...
Ce terme d'addiction ou d'addict n'est pas du tout intéressant tellement il cache des disparités chez les individus en proie à ces difficultés, peut déresponsabiliser ou infantiliser la personne concernée, n'aide pas à rechercher et comprendre les éléments moteurs de ce comportement problématique.
De plus, chaque personne concernée peut estimer que son comportement sexuel n'est pas problématique et se faire évaluer par quelqu'un d'extérieur sur sa pratique de la sexualité peut être vécue comme un acte coercicif, dogmatique, dépassant le cadre intime de la personne.
Le sujet de la sexualité concerne tout le monde, il est nécessaire que chacun s'interroge sur la place de la sexualité dans sa vie et les façons d'en faire un objet d'épanouissement sain pour lui et son partenaire.
"Addiction" et "addict" sont donc utilisés sur ce site par commodité de langage et surtout pas pour un diagnostic.
Un article intéressant sur l'addiction et la pornographie : la pornographie comme addiction de Patrick Baudry.
L'addiction a apporté ce que la personne appelait du plaisir, une satisfaction, un apaisement, tout cela n'était qu'éphémère et illusoire. Le simple fait de devoir répéter le même comportement, les mêmes stratégies, les mêmes scénarios, rendent compte de l'absence totale de tout épanouissement sexuel voire de toute construction affective durable.
La dépendance a enfermé le sujet, l'a isolé et a fini par le faire souffrir.
Le passage à l’acte s’effectuera après un certain temps, plus ou moins à distance de l’événement déclenchant (ou amorce), plus ou moins long selon un curseur variable :
- Certaines personnes vont laisser passer plusieurs minutes à plusieurs heures avant de passer à l’acte.
Elles luttent soit pour éviter le passage à l’acte (culpabilité, anxiété, remords), soit pour parfaire leur scénario et leurs sensations d’excitation, soit pour maintenir ceux-ci en éveil avant de trouver l’occasion de passer à l’acte…
- Certaines personnes vont passer à l’acte dans une immédiateté sans limite qui évite toute réflexion posée et donc tout contrôle.
2- L'histoire personnelle
Source : Sexe sans contrôle surmonter l'addiction, Dr François-Xavier Poudat et Marthylle Lagadec, 2017
L'addiction s'inscrit dans une histoire individuelle avec des facteurs de vulnérabilité personnelle qui, dans un contexte socio-environnemental particulier et exposé à l'objet sexuel, va déclencher le comportement addictif et sa répétition incontrôlable (Olievenstein, 1983 ; Lejoyeux, 2010)
Il est difficile d'imaginer qu'une cause spécifique puisse à elle seule déclencher l'apparition d'une conduite addictive. Un ensemble de facteurs va intervenir dans le déclenchement de la dépendance sans que l'on sache réellement pour quelles raisons certaines personnes deviendront addicts et d'autres pas alors que le contexte familial et environnemental pourrait être le même.
Pour une même famille, certaines personnes ont pu vivre des situations traumatiques sans dommage pour leur avenir alors que d'autres vivront douloureusement ces mêmes traumas.
D'autres facteurs de vulnérabilité sont également présents comme la mauvaise estime de soi, la difficulté à la résolution de problèmes, l'impulsivité, la recherche de sensations et de nouveauté…
3- Rôles de l'addiction
Source : quelques idées sont reprises du livre Sexe sans contrôle surmonter l'addiction.
Pour comprendre pourquoi une personne continue un comportement nocif malgré les conséquences négatives importantes, il est primordial de rechercher les avantages que lui procure ce comportement.
Pour aider à analyser la nocivité d'un comportement, vous pouvez utiliser la balance décisionnelle.
Vous retrouverez ci-dessous une liste d'utilisations du comportement sexuel :
Apaiser un mal-être émotionnel et une tension interne comme de la colère, de l'anxiété, de la tristesse.
Le passage à l'acte sexuel permet d'extérioriser cette tension et, par ce biais, de la soulager.
Oublier, fuir, échapper, éviter des situations de mal-être et de souffrance passées ou futures.
Il est parfois préférable, pour certains sujets, de se réfugier devant un écran pour « voir ce qu'il ne fera jamais dans le réel » (cybersexe) ou pour communiquer dans des réseaux sociaux, plutôt que de faire face à de vrais échanges ou d'affronter certaines difficultés de la vie. L'activité sexuelle, par la nécessité d'être très concentré et engagé crée un effet "bulle" qui ne laisse pas la place à d'autres pensées à propos notamment des poblèmes de la vie. La sur-activité sexuelle par la quantité de plaisir éprouvé et l'énergie déployée peut amener à se sentir apathique et faire barrage à des pensées, émotions et sensations corporelles potentiellement douloureuses.
Régulation du sommeil : pour les personnes ayant des difficultés à s'endormir, la libération des différentes hormones après l'acte sexuel les fatigue et apaise.
A l'inverse dans les moments d'assoupissement, certaines personnes vont vouloir rester actif et pour cela démarrer une activité sexuelle, mettant fin à la phase d'assoupissement et les rendant plus alerte une fois la masturbation terminée.
Souffrir ou se punir confirme le dégoût de soi qui est au centre de cette fonction. Des événements traumatiques de l'enfance tellement déniés par l'entourage ravivent la culpabilité amenant au dégoût de soi. La dépendance devient le moyen le plus simple de se salir davantage et de confirmer sa propre responsabilité dans les événements passés.
S'affirmer et se valoriser, l'addiction peut être un moyen narcissique de se rassurer et d'exister au travers de ce comportement. C'est le cas de certains consommateurs sexuels, de dragueurs invétérés, de phobiques sociaux « qui voient dans les multiples confrontations sexuelles, sans suite, le moyen de tester leurs capacités ou d'amplifier des croyances de toute puissance.
Tout cela cache évidemment des doutes, des peurs, des craintes de ne pas être à la hauteur et de ne pas satisfaire l'autre » (Médecine sexuelle. Fondements et pratique Courtois, 2016)
La masturbation avec ou sans support peut être utilisée comme palliatif par manque de relations sexuelles dans la vie, que ce soit des personnes célibataires ou non.
Ces personnes peuvent penser qu'il est important/obligatoire d'avoir une sexualité, et par conséquent se tourne vers une forme solitaire éloignée de la réalité d'une vraie relation sexuelle.
L'on peut tout de même trouver utile la masturbation sans support ni fantasme et le faire à la sensation pour s'entraîner à (re)découvrir son corps ou niveau sexuel pour être "opérationnel" le jour J.
Combler le temps libre car la personne n'arrive pas à trouver d’idée d'activités intéressantes/constructives ou elle a des difficultés à les démarrer.
Se récompenser d'une action importante réussie comme résoudre un problème, avancer sur un projet au travail, etc...
Le problème ne vient spécialement du choix de la masturbation pour se récompenser, il existe d'autres récompenses extérieures comme l'alcool, le sucre, la nourriture, faire des achats, etc...
Nous pouvons souvent entendre qu'il est nécessaire de se récompenser lorsque nous avons accompli quelque chose, surtout lorsque la tâche en question était difficile.
Peu importe la récompense externe choisie, son effet sera de courte durée, nous aurons très vite fait d'oublier pourquoi nous nous récompensons, en quoi la tâche accomplie était importante pour nous.
Nous n'avons pas besoin de récompense externe, au contraire ce sont souvent des solutions peu qualitatives et artificielles.
Pourquoi ne pas tout simplement réfléchir à la tâche accomplie ?
Pourquoi celle-ci a constitué un effort important ? Dans quel contexte plus large s'inscrit-elle ? Quelle est la suite derrière ? A quoi je peux prétendre ?
Pensions-nous y arriver au départ ? Avons-nous appris quelque chose ? Sommes-nous contents d'avoir été au bout ?
Toutes ces questions vont normalement faire émerger en vous des sentiments agréables comme de la joie, fierté, sentiment d'accomplissement, d'aller dans la bonne direction, etc...
Sans chercher à vous récompenser du travail fait, ces questions vous permettront de travailler sur vos compétences, à ce qui a du sens pour vous, à ressentir des émotions et sentiments au sujet de la tâche réalisée, à consolider votre motivation à continuer en ce sens.
Vous pourrez aussi réaliser la place et l'utilité de la tâche dans un contexte plus large, la tâche étant peut-être seulement une action parmi un ensemble d'actions plus large (sous forme d'objectif, de projet).
En observant ce contexte plus large, vous pourrez réaliser le sens qu'il a pour vous, en quoi il contribue à votre épanouissement, à rechercher d'autres actions de ce type dans d'autres domaines de vie, toujours dans cette optique de faire ce qui a du sens et ce qui est important pour vous (les compétences et les les façons d'être que vous aimeriez utiliser de manière régulière dans votre vie).
Rechercher de la nouveauté, pour avoir toujours plus de sensations fortes. L'addiction, par son caractère « boulimique » et sans fin, permet, par la nouveauté et le changement des situations sexuelles, a minima, de virtualiser ses fantasmes, mieux que dans l'imaginaire (d'où l'intérêt du cybersexe), de vivre des sensations jamais éprouvées et d'accentuer le niveau d'excitation sans fin.
Sortir de l'ordinaire, stimuler l'existence et exister, l'addiction sert à faire face au vide, au néant, au manque, à l'absence, au rien… La boulimie de sexe est une pratique courante qui donne du poids à la vie de l'addict.
5- Questionnaires d'auto-évaluation
Il existent des dizaines de questionnaires issus de la recherche en psychologie, pour évaluer l'utilisation problématique de pornographie.
Selon une étude faite sur les questionnaires d'évaluation en 2019, il y a 3 tests qui se démarquent car ils couvrent la plus grande quantité des composants de l'addiction :
Parmi tous les tests analysés dans l'étude, il y en a qui adressent seulement certains composants de l'addiction et fournissent plus de détails pour examiner un composant spécifique.
Par exemple, le Pornography Consumption Questionnaire (PCQ) pour les envies irrépressibles, ou les PCES, the PCES-R et PCES-SF pour les conséquences négatives.
Les tests ont été évalués par rapport à une liste de composants de l'addiction :
- la perte de contrôle.
- désir fort de s'engager dans le comportement addictif.
- la proéminence du comportement.
- utiliser le comportement addict pour améliorer son état psychologique négatif (humeur, sentiments, émotions).
- les conflits interpersonnels.
- les conflits dans la vie en général.
- les conflits intrapsychiques.
- les conflits occupationnels et d'éducation.
- les conflits à propos de la vie sexuelle.
- les problèmes de sommeil.
- les attitudes négatives.
- les problèmes financiers.
- les répercussions dans la famille et les loisirs.
- les effets de sevrage.
- la tolérance au comportement.
- la rechute.
- mentir ou se cacher à propos du comportement.
- continuer malgré les conséquences négatives.
Aucun test n'a pu cibler tous les composants de l'addiction listés ci-dessus.
De plus, nous pouvons ajouter d'autres critères qui me semblent très importants comme la notion de plaisir, la sexualité désirée et pourquoi, quelles stratégies employez-vous pour aborder les moments difficiles, comment vous occupez votre temps, quelles fonctions remplit ce comportement sexuel chez vous, quelle est votre histoire avec la sexualité, etc...
Il est intéressant de ne pas s'arrêter aux tests d'évaluation qui sont loins d'être pratiques à utiliser et de regarder de manière générale quels sont les comportements problématiques de la personne ou encore quels sont les domaines de vie où il rencontre des difficultés pour viser un bien-être général.
En plus des effets de l'addiction détaillés ci-dessus, l'addiction se développe par stades.
La liste suivant est un scénario possible parmi d'autres et ne représentent pas le parcours universel de chaque personne.
- Après l'initiation, recherche de plaisir ou de sensations fortes, baisse de l'inconfort intérieur (pensées, émotions, sensations corporelles désagéables).
- Préoccupation avec des pensées excessives pour l'objet de l'addiction, plus de temps passé dans la planification et la consommation.
Le temps consacré à cette activité déborde sur les activités importantes de la vie quotidienne.
- Malgré l'épuisement du corps, potentiellement la personne escalade son comportement addictif en augmentant les stimuli et en adaptant sa pratique pour essayer d'avoir la même intensité de plaisir / sensations ou autres états intérieurs recherchés.
- Au fil du temps, les situations à risque se multiplient et la perte de contrôle de ses comportements grandit : les fonctions du comportement addictif deviennent plus nombreuses sans que la personne n'y prête attention. Le comportement non désiré rentre dans le champ du normal pour la personne. Si en plus il y a de nombreuses personnes, surtout les jeunes, qui consomment de la pornographie, elle peut s'en servir comme d'une règle à suivre à son détriment : "il est normal de consommer de la pornographie puisque énormément de personnes le font, pourquoi j'arrêterais ?". Des arguments non rationnels de minimisation des conséquences du comportement peuvent compléter la discussion interne pour avaliser la poursuite du comportement.
- les conséquences négatives (physiques, psychologiques, relationnelles, financières, etc...) deviennent majeures et il arrive que la conduite addictive peut continuer pour mieux supporter ces conséquences.
- il est de plus en plus évident que la personne en proie à des comportements problématiques prend conscience de ses conséquences négatives. Pour autant, elle peut négocier une situation de statut-quo voire être dans le déni. Ce type de réactions ne sont pas rationnelles, ce sont plutôt des moyens de régler le problème sur le très court terme, ce qui a des effets délétères sur le plus long terme.
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4- Quelles manques d'actions et de compétences sont responsables ?
Si une personne s'embarque dans un comportement addictif, c'est à cause d'un niveau trop faible dans les compétences utiles et/ou une fréquence trop insuffisante dans leur mobilisation de manière adaptée aux bons moments.
Retrouvez une liste non exhaustive de manques d'actions et de compétences qui peuvent être responsables de la formation et du maintien du comportement nocif.
- Compréhension pas assez exhaustive des contours du problème d'addiction à la pornographie et des problèmes sous-jacents.
- Difficultés à trouver un panel large de solutions efficaces pour répondre aux différentes problématiques.
- Utilisation de stratégies d'évitement inefficaces de situations inconfortables présentes et futures au lieu de les régler directement de manière appropriée.
- Normalisation/déni du problème : ne pas prendre la mesure du problème.
- Absence d'une recherche de ce à quoi pourrait ressembler sexualité saine.
- Difficulté à gérer les pulsions et comportements automatiques inefficaces.
- Problème pour trouver/faire des activités d'intérêt et pour organiser son temps.
- Difficulté à mobiliser les bonnes actions/compétences dans les situations réelles, problèmes pour faire persister les comportements efficaces / en faire des habitudes bien ancrées.
- Pas assez de moments d'introspection pour réfléchir, changer, planifier, surveiller ses comportements.
- Manque de méthodes d'organisation performantes ou difficultés à les utiliser régulièrement.
- Découragement et abandon face aux difficultés à progresser de manière significative ou à la vue de tous les efforts à produire.
- Difficulté à produire des changements durables avec des motivations internes.
- Manque d'entrainement dans les compétences utiles (notamment la gestion des pulsions) par rapport au degré d'exposition aux situations à risque.
- Complications pour faire des bons choix en utilisant l'entièreté de la ligne du temps (du très court terme au plus long terme) : privilégie trop souvent consciemment ou pas le court terme.
- Empirer le problème en s'accablant, ce qui amène à avoir des répercussions négatives dans d'autres domaines de vie.
- etc...
6- Conséquences d'un comportement excessif
Les hommes comme les femmes, peu importe leur âge, situation maritale, classe socio-professionnelle peuvent basculer dans un comportement sexuel problématique pour eux et leur partenaire.
Certaines répercussions physiques du trouble comportemental énoncées plus bas ne concerneront que les hommes, cependant la sexualité est autant impactée chez les hommes que les femmes.
Le forum pornodependance.com héberge une catégorie spécialement pour les femmes.
Un article de la BBC recueille plusieurs témoignages de femmes consommatrices de pornographie.
Voici un panel non exhaustif de comportements et symptômes de l'addiction à la pornographie (chaque personne doit être prise au cas par cas) :
- Différence notable entre ce qu'on désire et ce qui nous amène du plaisir au niveau sexuel.
- Développement d'une sexualité plus restreinte, moins relationnelle.
- Pulsions/images sexuelles ou reliées à du contenu pornographique malgré le désir ferme de ne plus se masturber devant de la pornographie.
- Libido affaiblie.
- Dysfonctionnement de l'érection, moins d'érection matinale, éjaculation précoce ou retardée.
- Sensibilité réduite au niveau du sexe.
- Temps important consacré à la pornographie.
- Sources de plaisir sexuel restreintes à la masturbation avec pornographie.
- Moins d'énergie en général.
- Tolérance au porno "classique" puis escalade/diversification dans les préférences sexuelles pour obtenir le même plaisir qu'avant.
- Baisse attrait pour le conternu porno regardé initialement qui peut amener à une baisse de son attirance sexuelle pour des personnes réelles voire à un questionnement sur son orientation sexuelle.
- Baisse attrait pour le sexe avec un partenaire dû à la consommation de pornographie : une soixantaine d'études vont dans ce sens.
- En cas de désensibilisation à des scènes porno "classiques", basculement vers des stimuli plus forts qui eux permettent à l'addict d'avoir une excitation et un plaisir suffisant. Dans le cas où la personne aurait une vie sexuelle avec un partenaire, tendance à vouloir reproduire au sein de relations sexuelles réelles des pratiques qui donnent du plaisir à l'addict en situation de consommation de porno qu'il considère pourtant comme malsaines, coercitives, douloureuses pour le partenaire.
- Faible estime de soi, honte, culpabilité dûes à l'incapacité à contrôler ces comportements, à prendre plaisir sur du contenu qu'il n'approuve pas.
- Anxiété sociale, dépression, insensibilité émotionnelle, apathie.
- Sommeil perturbé, moins de rêves la nuit ou plus du tout.
- Possibilité importante (comme toute personne sujette à une addiction) d'avoir d'autres addictions avec substance ou comportementales.