Interview de Philippe Kempeneers : addiction sexuelle et couple
Publié le 31/07/2021 12:43:44 (Maj le 27/04/2022 22:47:10)
Je vous propose un interview avec Philippe Kempeneers, psychologue et sexologue, maître de conférence de l'Université de Liège sur plusieurs sujets :
Retrouvez les activités de Philippe Kempeneers sur son site Internet.
Important : si vous avez des difficultés de couple en des termes psychologiques - s'il y a des abus cela peut être différent - vous pouvez très bien gérer cela tout seul.
Je ne suis pas du tout pour l'utilisation d'une aide extérieure pour tout problème dans la vie mais pour l'apprentissage et l'autonomisation. Pour autant, vous devriez lire des idées intéressantes dans cet interview.
Bonjour M. Kempeneers, le sujet de l'addiction sexuelle est-il de plus en plus un motif de consultation en thérapie de couple ?
Philippe Kempeneers : Les consultations pour addictions sexuelles sont effectivement devenues plus fréquentes à partir des années 2000. On peut y voir l’effet de plusieurs facteurs.
Citons en premier lieu le développement de l’internet.
L’usage d’internet rend toute une série d’activités sexuelles à la fois accessibles et abordables comme jamais auparavant, le tout dans des conditions d’anonymat qui leur confèrent un pouvoir d’attraction extraordinaire.
Internet peut être considéré comme estampillé d’un label Triple A : Il est à la fois Anonyme, Accessible (facilité d’accès smartphone, ordinateur) et Abordable (prix), ce qui en fait un médium addictif particulièrement séduisant.
Ensuite, l’addiction sexuelle devient une problématique de plus en plus connue des scientifiques et des professionnels de la santé, elle jouit à ce titre d’une certaine médiatisation. Les personnes en proie à cette problématique peuvent dès lors entrevoir des aides possibles et, du coup, formuler des demandes d’assistance alors qu’auparavant leur situation aurait été passée sous silence.
Ceci étant lié à cela, la sexualité est aujourd’hui étudiée sous un angle scientifique.
Un discours scientifique, psychologique et médical a émergé sur des comportements sexuels qui auparavant se cantonnaient essentiellement au domaine de l’intime et du discours moral. Sans effacer les composantes intimes et morales des conduites sexuelles jugées problématiques, le discours scientifique a permis un nouvel espace de réflexion sur celles-ci, il a offert des nouvelles opportunités de parole et d’évolution à des gens qui se sentent coincés dans un mode d’exercice de la sexualité qu’ils ressentent comme abusif – à tort ou à raison – et qui est pour eux à l’orignie d’une souffrance.
Certains comportements sexuels peuvent en effet causer des souffrances. Ils ont sans doute toujours été à l’origine de souffrances mais, à l’heure actuelle, on connait un peu mieux les ressorts de ces souffrances ainsi que les modalités d’aide. Le discours des psy, des scientifiques, médecins, thérapeutes est de en plus prégnant, avec tout ce que cela suppose de bienveillance, de sollicitude.
Quelles sont les répercussions de cette problématique pour l'addict, le conjoint et le couple ?
Philippe Kempeneers : La prise de conscience et l’identification d’une difficulté ne se font pas en un jour.
Qu’est-ce qui caractérise un comportement sexuel problématique ?
C’est justement qu’il est problématique, qu’il engendre une souffrance. Cette souffrance va émerger progressivement, elle ne va s’installer qu’avec un certain temps, cela ne vient pas du jour au lendemain.
Une addiction sexuelle n’est pas une maladie au sens courant du terme, comme une grippe qu’on attraperait d’un coup avec un avant et un après. Les comportements sexuels addictifs sont des conduites que nous adoptons pour nous gérer nous-mêmes, pour nous donner du plaisir, pour donner du plaisir à nos proches également, pour trouver un certain équilibre existentiel. Et, à un moment donné, on trouve que cç dérape, on estime que notre comportement est devenu excessif, ceci pour une raison pour ou une autre.
Mais quelles sont ces raisons qui, précisément, confèrent un caractère excessif à nos comportements sexuels ? Il en existe de nombreuses.
Nous pouvons par exemple nous rendre compte que nos comportements sexuels nous font perdre énormément de temps. C’est le cas notamment des gens qui passent le plus clair de leur temps sur des sites porno ou sur des sites de rencontre, de ceux qui entrecoupent leur journée de travail pour aller se masturber ou pour aller consulter de la pornographie, de ceux qui n’ont pratiquement plus d’autres loisirs.
Cela peut aussi faire perdre pas mal d’argent : c’est le cas par exemple des personnes qui se rendent fréquemment sur des chats en ligne avec des hôtesses qui leur font bourse délier ou de ceux qui recourent souvent aux services de prostitué(e)s.
Parfois des gens avec de telles pratiques peuvent se dire tristement : « ma sexualité ne se réduit plus qu’à ça (des relations d’un soir ou des masturbations devant du porno par exemple), elle est nettement moins relationnelle. » Cela aussi peut être l’origine d’une souffrance.
Certaines personnes encore peuvent se demander si leur comportement sexuel problématique est la cause ou la conséquence d’un mal-être.
Un exemple de cercle vicieux est fourni par les gens qui trouvent que la visualisation de pornographie a un impact de plus en plus néfaste dans leur vie, elles se sentent de moins en moins aptes à nouer des relations réelles. D’un autre côté, leur inaptitude à nouer des relations réelles trouve à se compenser dans l’utilisation de la pornographie.
La personne qui se sent en proie à une difficulté sexuelle peut encore avoir un sentiment diffus d’anormalité, elle peut se flageller par rapport à tel ou tel comportement sexuel qui ne rentrerait pas dans certains codes moraux ou de normalité. Cela peut être à l’origine d’une grande souffrance narcissique. La personne peut alors ressentir un besoin d’aide et aller chercher chez les psy, les sexologues ou d’autres professionnels de santé des éléments susceptibles de la soulager.
La demande d’aide peut également être suscitée par le conjoint, c’est d’ailleurs souvent au niveau de la relation conjugale que vont germer les difficultés, c’est le conjoint lui-même qui prend ombrage de l’addiction sexuelle de son partenaire. Le conjoint peut trouver que son partenaire passe trop de temps devant du porno par exemple ou qu’il privilégie les coups d’un soir au détriment de la sexualité du couple.
Le conjoint qui, lui, est disponible peut se sentir délaissé. Cela peut aussi lui renvoyer une mauvaise image de lui-même, en voyant que l’addict lui préfère le porno ou d’autres objets sexuels, il peut se demander si il est encore désirable.
Si ces questionnements font souffrir grandement le conjoint, son accompagnement est à envisager.
L’addiction sexuelle – comme toute addiction d’ailleurs – peut engendrer à une raréfaction du temps consacré aux activités du couple. Encore un motif de plainte.
La pression peut être forte, le conjoint excédé peut enjoindre à son partenaire de « se faire soigner », arguant que son comportement « n’est pas normal » ou, en tout cas, qu’il dépasse les limites de ce qu’il peut tolérer. Il peut y avoir des menaces de séparation.
Pour le conjoint, la découverte de l’addiction sexuelle de son partenaire peut prendre l’allure d’un traumatisme. Dans ce genre de cas, une prise en charge spécifique est souvent la bienvenue.
Toute ces souffrances vont engendrer des tensions dans le couple, elles vont être à l’origine d’une demande de changement et d’une démarche de recherche d’aide auprès d’un thérapeute.
Entre parenthèses, il faut signaler une difficulté qui se pose parfois quand l’entourage est mis au courant du problème par le conjoint qui se sent lésé. Des pressions peuvent dans certains cas s’exercer sur les protagonistes et empêcher le couple de trouver son équilibre.
Prenons l’exemple d’ une personne qui enchaine les coups d’un soir. Son conjoint, terriblement affecté par la situation, va rechercher l’appui de ses proches et se confier à eux, c’est bien compréhensible. Cependant, au moment où ils sont mis au courant, les proches, tout animés d’une sincère sollicitude, peuvent en venir à donner des conseils très directifs et peu nuancés à l’infortuné, comme "quitte-le, il est ignoble".
Or, dans un second temps, le conjoint initialement bouleversé peut réaliser que les coups d’un soir de son partenaire ne sont pas forcément incompatibles avec le maintien d’une relation de qualité, mais il peut rester prisonnier des pressions de ses proches et se sentir acculé à une séparation qu’il ne désire en définitive pas. Il peut même arriver que la sollicitude de l’entourage se mue menaces : .
: "Maintenant tu choisis, c’est nous ou c’est lui".
Dans des témoignages que j’ai pu lire, la conjointe est assez souvent la personne qui détecte le problème d’addiction du conjoint ou en tout cas qui le met sur la table et en fait une problématique majeure qu’il faut traiter.
Alors que du côté de l’addict, on peut voir souvent la minimisation ou le déni du comportement sexuel problématique, surtout au début.
On peut aussi ajouter à cela une normalisation de la consommation de la pornographie dans la société actuellement.
Ces différents éléments démontrent une complexité autour de la représentation personnelle autour de la sexualité, de sa pratique et de ce que l’on peut considérer comme addictif ou problématique.
Philippe Kempeneers : Il est difficile de définir l’addiction sexuelle dans des termes normatifs : quelles sont les normes en matière de comportement sexuel ?
On peut constater que certains comportements sexuels occasionnent des souffrances, qu’ils sont perçus comme des excès et qu’ils mobilisent à ce titre une certaine intolérance.
Déterminer une notion objective d’addiction reviendrait à décréter qu’il existe un seuil à partir duquel le problème relèverait de la personne qui produit le comportement plutôt que de celle qui le désapprouve et le considère comme excessif : c’est délicat. La notion d’addiction comporte nécessairement une part de subjectivité, elle renvoie aux aspects relatifs de la tolérance, elle questionne non seulement un comportement sexuel donné mais aussi la relative intolérance individuelle, sociale et culturelle dont ce comportement est l’objet.
Note : consultez la page L'addiction au porno pour avoir une idée de ce qu'est le DSM - une fraude et une entreprise criminelle.
Mais finalement, dans notre pratique thérapeutique, nous les psys, nous ne sommes, que peu intéressés par l’établissement d’un diagnostic formel. L’essentiel est pour nous d’ accueillir des souffrances et de prendre en considération l’ensemble des facteurs qui les déterminent. La détresse est peut-être intrinsèque au comportement lui-même mais elle peut être intrinsèque aussi à la manière dont ce comportement réputé excessif est accueilli par l’autre, voire par soi-même
Donc en tant que thérapeute, on va forcément travailler sur les deux tableaux.
Votre comportement sexuel est-il normal ou pas ? Peut-être que c’est votre vision de la normalité qui est à l’origine de votre souffrance, pas seulement le caractère excessif du comportement en question.
Nous les psys n’avons pas d’a priori bien marqué sur ce qu’il faudrait travailler en priorité.
Il fut un temps de plus grande intolérance où des gens vivant mal leur homosexualité par exemple, la considérant comme « anormale », s’adressaient à des professionnels de la santé qui s’appliquaient à traiter l’homosexualité. Aujourd’hui la question se poserait plutôt en d’autres termes : comment aider la personne à assumer en relative quiétude sa sexualité homo-orientée ?
Effectivement, les personnes que l’on accueille en consultation viennent avec leurs représentations de la normalité. Selon les situations, le focus sera placé tantôt sur la modification des comportements, tantôt sur leur acceptation et sur les représentations de la normalité. On a le plus souvent affaire à un mélange des deux types de considérations.
La sexualité est quelque chose de très personnel par ses différentes formes d’exercice, de ce que chacun en attend et c’est quelque chose qui évolue au gré de nos expériences et questionnements.
Un axe de travail pour la personne en proie à un comportement sexuel problématique est de travailler sur ces questions en direction d’une sexualité plus saine et satisfaisante.
Philippe Kempeneers : Il existe plusieurs visions de la sexualité, plusieurs sensibilités, plusieurs façons de trouver du plaisir
Des problèmes peuvent surgir quand un mode d’exercice particulier de la sexualité se positionne en norme, comme étant absolu et universel. Il tend du coup à exclure d’autres sensibilités, à laisser des tas de choses dans l’ombre.
La rencontre d’autres formes de sensibilité érotique peut être une source de motivation au développement personnel. Souvent les personnes avec un problème d’addiction ont des plaisirs qui se restreignent au seul comportement addictif.
Dans le cas de l’addiction sexuel, une partie du job thérapeutique consiste dès lors à essayer de s’ouvrir à d’autres plaisirs potentiels, à se ré-érotiser d’une certaine manière, à développer des sensibilités inexploitées. .
Une personne peut par exemple très bien connaître le plaisir inhérent à une excitation fortement génitalisé qui s’accroît jusqu’à l’orgasme, il représente pour elle l’essentiel de la sexualité. Mais peut-être connaît-elle moins bien toute une série de plaisirs plus sensuels, moins génitalisés, peut-être est-elle moins sensibilisée au plaisir d’une excitation qui monte et qui descend, puis qui remonte et redescend, peut-être goûte-t-elle moins aux joies dune complicité avec un partenaire , etc…
Tous ces éléments peuvent aussi faire partie de l’érotisme, il s’agit d’élargir l’éventail des plaisirs, de décloisonner l’éprouvé sexuel.
Par ailleurs, dans le traitement des addictions, quelles qu’elles soient, on a pour habitude de considérer le comportement addictif comme une réponse inadaptée au stress. Il s’agit dès lors aussi d’identifier les sources de stress qui déclenchent les comportements addictifs pour essayer d’y apporter d’autres réponses, des réponses mieux adaptées.
Le comportement addictif peut ainsi être vu comme l’expression d’un manque à vivre, d’un manque à gagner en terme de plaisir, comme l’expression d’une insatisfaction dans l’existence.
Les motifs qui poussent une personne à trouver refuge dans le comportement addictif sont divers :
le manque de diversité des plaisirs, le manque de ressources s’agissant de prendre soin de soi et d’améliorer sa satisfaction dans l’existence, tout cela peut faire l’objet d’ interventions spécifiques.
Prenons l’exemple d’un jeune homme qui a des difficultés dans la sexualité relationnelle.
Les plaisirs éprouvés dans la consultation de porno sont très importants mais quand il est en présence d’une partenaire hétérosexuelle, il commence à se sentir très inquiet : "Est-ce que je vais assurer ?"
Une série d’inquiétudes vont germer en lui qui le rendront difficilement capable d’éprouver du plaisir sexuel avec une partenaire.
Dans ce cas-ci, traiter le problème addictif passera notamment par un travail permettant une meilleure sexualité relationnelle. On interrogera par exemple ses angoisses d’échec : est-ce que le partenaire accorde tellement d’importance aux performances en matière d’érection ?
On s’interrogera aussi sur la possibilité de développer la gestuelle érotique : Quid des attouchements non pénétratifs, des plaisirs sensuels d’une nature autre que génitale ? Etc...
Le psy ou le sexologue sera là pour accompagner la personne à récupérer ou à développer une série de plaisirs qui demeuraient pour elle insoupçonnés.
Le déni de l’addict sur sa condition (au moins pendant un certain temps) est souvent quelque chose qui revient dans les témoignages des conjointes que j’ai pu lire. Peut-on s’arrêter quelques instants sur cette situation ?
Philippe Kempeneers : Tout d’abord, notons que la personne réputée addict ne voit pas nécessairement son comportement comme addictif.
Rappelons-nous que ce qui rend un comportement excessif ne tient pas simplement à la nature du comportement lui-même mais aux problèmes qu’il engendre : perte d’argent, de temps, risques d’IST, etc... et, bien sûr, la réprobation sociale et celle du partenaire. Pour la personne concernée, l’essentiel du problème peut se situer à ce dernier niveau, c’est surtout la réprobation du partenaire qui est jugée excessive, le comportement lui-même n’engendrant que peu d’autres inconvénients.
La souffrance de l’addict n’est pas exclusivement dûe à son comportement lui-même mais aussi à des facteurs extrinsèques à ce comportement, comme le regard que porte le partenaire sur la difficulté.
Dès lors, et c’est vrai pour toutes les addictions, le traitement n’a pas toujours pour but unique de réduire l’occurrence du comportement addictif, il peut viser aussi à réduire les difficultés extrinsèques produites par ce comportement comportement, diminuer les coûts si vous voulez.
Dissimuler son trouble à son partenaire est une manière spontanée que l’addict a trouvé pour réduire les risques : "mon partenaire je l’apprécie, je ne souhaite pas qu’il souffre, je veux que ma relation avec avec lui reste bonne, je ne souhaite pas que notre relation ou/et mon partenaire soit troublée par la connaissance de ma difficulté sexuelle".
Un élément d’explication supplémentaire tient à la nature même de la dynamique addictive.
Quand la personne reconnaît un problème avec ses comportements sexuels et qu’elle cherche à faire évoluer la situation en essayant de réduire l’émission de ses comportements, la progression est souvent irrégulière, le cheminement est parsemé d’hésitations, de chutes et de rechutes, l’évolution tend à s’opérer en dents de scie.
Un fort désir de progrès peut être entrecoupé de phases d’hésitation, on arrive tantôt à maintenir une certaine abstinence en matières de consultation de porno mais l’envie est forte, parfois on craque, il arrive même qu’on se décourage, puis on se relève, on manque encore de trébucher mais on se redresse, etc…
Informer sa partenaire de ses hésitations, de ses envies de recommencer, de ses régressions, de ses moments de découragement, c’est prendre le risque de l’inquiéter. Certains craignent que, comprenant mal leurs hésitations et difficultés, leur partenaire ne réagisse de façon contreproductive, en s’alarmant et en exerçant des pressions qui vont constituer un stress supplémentaire. On peut donc choisir de cacher ses difficultés à sa partenaire, c’est une manière de la ménager et de se ménager.
La partenaire est en général très demandeuse que l’addict évolue et elle peut être pour lui une équipière précieuse mais l’équipe a des limites aussi car la partenaire a des attentes particulières, elle n’est pas totalement neutre par rapport à la progression de l’addict.
Elle a peut-être des attentes d’abstinence radicale et dès lors, l’addict peut être motivé à la ménager sous cet angle en lui cachant ses hésitations, ses éventuelles reconsommations.
L’évolution de la situation comporte des enjeux pour la partenaire. Il est certain que si la partenaire peut être aidante, soutenante, si elle peut évoluer avec l’addict dans la découverte de nouveaux plaisirs, il est certain aussi que l’équipe a ses limites. La partenaire n’a pas la même indifférence qu’un thérapeute à l’égard des difficultés de l’addict, on comprend dès lors que ce dernier peut préférer ne peut pas tout exprimer à sa partenaire.
Le conjoint veut souvent aider l’addict à améliorer sa situation mais sa position est difficile car touché par le comportement addictif, il a la position de partenaire de vie, n’est pas formé ou peu de manière générale aux mécanismes de l’addiction et à l’aide psychologique. C’est difficile pour le conjoint d’évoluer au sein d’une problématique addictive.
Philippe Kempeneers : Le conjoint a besoin d’avoir une meilleure perception de la nature de la difficulté addictive et des enjeux de la thérapie. C’est à cette condition que nous arriverons à en faire un co-thérapeute efficace qui va pouvoir aider l’addict à surmonter sa difficulté.
Des discussions entre la conjointe et le thérapeute vont être utiles pour favoriser une compréhension judicieuse des processus à l’œuvre.
La place du conjoint est intéressante à divers titres.
La découverte par le conjoint de la sexualité parallèle de l’addict peut être vécue comme un traumatisme. Le conjoint avait une certaine représentation de son couple que cette découverte va la mettre à mal. C’est une importante perte de repères.
S’en suit possiblement des affects dépressifs, de l’anxiété, un sentiment d’abattement, de colère : ces réactions sont tout à fait normales en cas de stress majeur.
Il est important que le conjoint puisse en parler, il est important que l’on puisse accueillir ces manifestations post-traumatiques pour ce qu’elles sont, il est important d’aider les gens à les gérer de façon à éviter qu’elles ne contribuent à détériorer plus encore la situation.
Le conjoint peut par ailleurs aider l’addict à mieux gérer les situations à risque. On peut par exemple lui confier ses appareils numériques de manière à écarter la tentation de visiter des sites. Le conjoint peut être à l’écoute aussi dans les moments difficiles.
Le conjoint est parfois partie prenante de la problématique aussi. Il arrive que le comportement sexuel problématique soit pour partie une forme de réponse à des conflits conjugaux ou à une sexualité de couple insatisfaisante.
Les techniques de thérapie de couple ou de sexothérapie vont s’avérer souvent efficaces dans les traitements des addictions sexuelles.
Mais attention, le traitement d’un trouble addictif ne peut pas se limiter à n’être qu’une thérapie de couple, et il ne s’agit surtout pas de déresponsabiliser l’addict lui-même par rapport à un comportement qui lui appartient en propre.
Au sein d’un couple, il peut y avoir des problèmes fonctionnels chez l’addict, le conjoint et dans la relation de couple.
Si un couple recherche une aide auprès de thérapeutes, quelles approches conseilleriez-vous ?
Philippe Kempeneers : Un des messages à faire passer est que toute souffrance mérite assistance.
La souffrance relative à une addiction n’est pas exclusivement la souffrance de la personne addict, c’est aussi celle du conjoint. Tout le monde mérite de l’aide.
Pour autant, la thérapie d’un trouble addictif n’est pas une thérapie de couple. Même s’il est intéressant d’interroger la dynamique du couple et d’intervenir éventuellement à ce niveau, la thérapie d’un trouble addictif reste essentiellement un traitement individualisé centré sur la personne en proie au problème d’addiction.
Il est intéressant de permettre au couple de s’exprimer mais, comme nous l’avons précisé, le couple est une équipe qui a des limites, l’addict ne va pas pouvoir tout dire au partenaire.
Envisager d’entrée de jeu le traitement d’une addiction par la thérapie de couple n’est, je pense, pas la solution idéale.
Faire intervenir des techniques de thérapie de couple et de sexothérapie au besoin dans l’évolution d’un trouble addictif me parait en revanche très important et efficace.
Si le conjoint souffre, il est important aussi de l’accompagner individuellement car les moments de thérapie de couple ne sont pas forcément suffisants pour gérer sa propre souffrance dans toute sa complexité. Souvent le conjoint gagne à aller s’exprimer chez un thérapeute de son côté, histoire de trouver un cadre permettant une parole plus libre et franche.
La thérapie de couple qui serait engagée suite à la découverte d’un problème addictif peut être l’occasion pour le couple de mettre sur la table des problèmes de couple récurrents qu’il pourrait rencontrer et s’atteler à les résoudre.
Philippe Kempeneers : Prenons l’exemple d’un homme qui a une sexualité essentiellement liée à la consultation de pornographie. Grâce à ce type de sexualité, il évite une série de difficultés qui ont trait à la sexualité relationnelle : des anxiétés de performance ou autres angoisses.
Il peut aussi éprouver des rancunes vis-à-vis de sa partenaire, des rancunes liées à des enjeux de pouvoir. Et notamment, le fait que sa partenaire lui enjoigne expressément d’aller "se faire soigner" lui apparaît comme l’expression d’une prise de pouvoir.
Dans cet exemple, l’addict peut se demander si vivre une sexualité plus épanouie est possible dans la configuration actuelle du couple, et la réponse pourrait être non si les difficultés relationnelles lui semblent insurmontables.
Il peut donc être intéressant de s’interroger sur des changements possibles au niveau du couple, et d’en discuter éventuellement avec le thérapeute principal de l’addict en invitant le conjoint.
Il est un fait aussi que les problèmes de couple soulevés peuvent dépasser les moyens d’intervention du thérapeute qui s’occupe individuellement de l’addict.
Il peut être alors indiqué d’envisager parallèlement une thérapie de couple, le couple sera dans ce cas orienté vers un thérapeute qui va recevoir les 2 personnes sur un mode beaucoup plus égalitaire et qui va traiter spécifiquement les difficultés conjugales.
On a parlé tout à l’heure du tsunami que peut vivre le conjoint quand il découvre un pan caché de la sexualité de l’addict.
Le conjoint peut considérer cela comme une infidélité ou comme une trahison à un pacte explicite ou implicite que le couple avait passé au sujet de la sexualité au sein du couple.
Philippe Kempeneers : La souffrance de la conjointe réfère parfois à l’image qu’elle a d’elle-même, elle peut ressentir une blessure narcissique : "Si je ne suffis pas à combler les appétits sexuels de mon partenaire, que vaux-je ?"
On sent qu’il faut traiter le conjoint dans cette situation vécue par lui comme vexante.
Il est vrai que le porno met en scène toute une série de stimuli très efficaces, les fantasmes, les morphologies, les situations sont présents en grande quantité et en variété inépuisable.
Cela fait référence à la notion de superstimulus proposée par les ethnologues : des stimuli artificiels, capables de stimuler un individu beaucoup plus puissamment que ne le ferait un stimulus naturel.
On peut imaginer encore que la masturbation ou l’utilisation de sex toys est parfois tactilement plus efficace que ce que pourrait produire un partenaire.
Pour autant, les gens recherchent généralement plus que cela pour leur bonheur sexuel et relationnel, il y a d’autres composantes qui entrent en ligne de compte : des composantes relationnelles, un partage d’intimité qui poussent les personnes à la recherche d’un partenaire réel. Les joies érotiques ne se limitent pas à des stimuli visuels et tactiles, tout puissants soient-ils.
Le bonheur sexuel d’un couple dépasse de loin le cadre étroit de la stimulation pornographique ou la stimulation par des jouet sexuels.
Il s’agit de rétrocéder au couple la complexité de la sexualité et de tempérer des angoisses d’abandon (liées au sentiment de sa propre valeur, au risque de rejet), lesquelles seraient peut-être indûment projetées sur un exercice de la sexualité qui, sans cela, serait sans doute considéré comme acceptable ou en tout cas tolérable.
D'autres lectures sur l'addiction et le couple :
- émergence du sujet de l'addiction sexuelle dans les cabinets de thérapeute.
- répercussions de cette problématique pour l'addict, le conjoint et le couple.
- concept d'addiction.
- développer une sexualité plus épanouie.
- le déni de l'addict sur sa condition.
- difficultés et place du partenaire.
- souffrance du conjoint.
- quels types d'aide chez les professionnels de santé : thérapie individuelle/thérapie de couple.
Retrouvez les activités de Philippe Kempeneers sur son site Internet.
Important : si vous avez des difficultés de couple en des termes psychologiques - s'il y a des abus cela peut être différent - vous pouvez très bien gérer cela tout seul.
Je ne suis pas du tout pour l'utilisation d'une aide extérieure pour tout problème dans la vie mais pour l'apprentissage et l'autonomisation. Pour autant, vous devriez lire des idées intéressantes dans cet interview.
Bonjour M. Kempeneers, le sujet de l'addiction sexuelle est-il de plus en plus un motif de consultation en thérapie de couple ?
Philippe Kempeneers : Les consultations pour addictions sexuelles sont effectivement devenues plus fréquentes à partir des années 2000. On peut y voir l’effet de plusieurs facteurs.
Citons en premier lieu le développement de l’internet.
L’usage d’internet rend toute une série d’activités sexuelles à la fois accessibles et abordables comme jamais auparavant, le tout dans des conditions d’anonymat qui leur confèrent un pouvoir d’attraction extraordinaire.
Internet peut être considéré comme estampillé d’un label Triple A : Il est à la fois Anonyme, Accessible (facilité d’accès smartphone, ordinateur) et Abordable (prix), ce qui en fait un médium addictif particulièrement séduisant.
Ensuite, l’addiction sexuelle devient une problématique de plus en plus connue des scientifiques et des professionnels de la santé, elle jouit à ce titre d’une certaine médiatisation. Les personnes en proie à cette problématique peuvent dès lors entrevoir des aides possibles et, du coup, formuler des demandes d’assistance alors qu’auparavant leur situation aurait été passée sous silence.
Ceci étant lié à cela, la sexualité est aujourd’hui étudiée sous un angle scientifique.
Un discours scientifique, psychologique et médical a émergé sur des comportements sexuels qui auparavant se cantonnaient essentiellement au domaine de l’intime et du discours moral. Sans effacer les composantes intimes et morales des conduites sexuelles jugées problématiques, le discours scientifique a permis un nouvel espace de réflexion sur celles-ci, il a offert des nouvelles opportunités de parole et d’évolution à des gens qui se sentent coincés dans un mode d’exercice de la sexualité qu’ils ressentent comme abusif – à tort ou à raison – et qui est pour eux à l’orignie d’une souffrance.
Certains comportements sexuels peuvent en effet causer des souffrances. Ils ont sans doute toujours été à l’origine de souffrances mais, à l’heure actuelle, on connait un peu mieux les ressorts de ces souffrances ainsi que les modalités d’aide. Le discours des psy, des scientifiques, médecins, thérapeutes est de en plus prégnant, avec tout ce que cela suppose de bienveillance, de sollicitude.
Quelles sont les répercussions de cette problématique pour l'addict, le conjoint et le couple ?
Philippe Kempeneers : La prise de conscience et l’identification d’une difficulté ne se font pas en un jour.
Qu’est-ce qui caractérise un comportement sexuel problématique ?
C’est justement qu’il est problématique, qu’il engendre une souffrance. Cette souffrance va émerger progressivement, elle ne va s’installer qu’avec un certain temps, cela ne vient pas du jour au lendemain.
Une addiction sexuelle n’est pas une maladie au sens courant du terme, comme une grippe qu’on attraperait d’un coup avec un avant et un après. Les comportements sexuels addictifs sont des conduites que nous adoptons pour nous gérer nous-mêmes, pour nous donner du plaisir, pour donner du plaisir à nos proches également, pour trouver un certain équilibre existentiel. Et, à un moment donné, on trouve que cç dérape, on estime que notre comportement est devenu excessif, ceci pour une raison pour ou une autre.
Mais quelles sont ces raisons qui, précisément, confèrent un caractère excessif à nos comportements sexuels ? Il en existe de nombreuses.
Nous pouvons par exemple nous rendre compte que nos comportements sexuels nous font perdre énormément de temps. C’est le cas notamment des gens qui passent le plus clair de leur temps sur des sites porno ou sur des sites de rencontre, de ceux qui entrecoupent leur journée de travail pour aller se masturber ou pour aller consulter de la pornographie, de ceux qui n’ont pratiquement plus d’autres loisirs.
Cela peut aussi faire perdre pas mal d’argent : c’est le cas par exemple des personnes qui se rendent fréquemment sur des chats en ligne avec des hôtesses qui leur font bourse délier ou de ceux qui recourent souvent aux services de prostitué(e)s.
Parfois des gens avec de telles pratiques peuvent se dire tristement : « ma sexualité ne se réduit plus qu’à ça (des relations d’un soir ou des masturbations devant du porno par exemple), elle est nettement moins relationnelle. » Cela aussi peut être l’origine d’une souffrance.
Certaines personnes encore peuvent se demander si leur comportement sexuel problématique est la cause ou la conséquence d’un mal-être.
Un exemple de cercle vicieux est fourni par les gens qui trouvent que la visualisation de pornographie a un impact de plus en plus néfaste dans leur vie, elles se sentent de moins en moins aptes à nouer des relations réelles. D’un autre côté, leur inaptitude à nouer des relations réelles trouve à se compenser dans l’utilisation de la pornographie.
La personne qui se sent en proie à une difficulté sexuelle peut encore avoir un sentiment diffus d’anormalité, elle peut se flageller par rapport à tel ou tel comportement sexuel qui ne rentrerait pas dans certains codes moraux ou de normalité. Cela peut être à l’origine d’une grande souffrance narcissique. La personne peut alors ressentir un besoin d’aide et aller chercher chez les psy, les sexologues ou d’autres professionnels de santé des éléments susceptibles de la soulager.
La demande d’aide peut également être suscitée par le conjoint, c’est d’ailleurs souvent au niveau de la relation conjugale que vont germer les difficultés, c’est le conjoint lui-même qui prend ombrage de l’addiction sexuelle de son partenaire. Le conjoint peut trouver que son partenaire passe trop de temps devant du porno par exemple ou qu’il privilégie les coups d’un soir au détriment de la sexualité du couple.
Le conjoint qui, lui, est disponible peut se sentir délaissé. Cela peut aussi lui renvoyer une mauvaise image de lui-même, en voyant que l’addict lui préfère le porno ou d’autres objets sexuels, il peut se demander si il est encore désirable.
Si ces questionnements font souffrir grandement le conjoint, son accompagnement est à envisager.
L’addiction sexuelle – comme toute addiction d’ailleurs – peut engendrer à une raréfaction du temps consacré aux activités du couple. Encore un motif de plainte.
La pression peut être forte, le conjoint excédé peut enjoindre à son partenaire de « se faire soigner », arguant que son comportement « n’est pas normal » ou, en tout cas, qu’il dépasse les limites de ce qu’il peut tolérer. Il peut y avoir des menaces de séparation.
Pour le conjoint, la découverte de l’addiction sexuelle de son partenaire peut prendre l’allure d’un traumatisme. Dans ce genre de cas, une prise en charge spécifique est souvent la bienvenue.
Toute ces souffrances vont engendrer des tensions dans le couple, elles vont être à l’origine d’une demande de changement et d’une démarche de recherche d’aide auprès d’un thérapeute.
Entre parenthèses, il faut signaler une difficulté qui se pose parfois quand l’entourage est mis au courant du problème par le conjoint qui se sent lésé. Des pressions peuvent dans certains cas s’exercer sur les protagonistes et empêcher le couple de trouver son équilibre.
Prenons l’exemple d’ une personne qui enchaine les coups d’un soir. Son conjoint, terriblement affecté par la situation, va rechercher l’appui de ses proches et se confier à eux, c’est bien compréhensible. Cependant, au moment où ils sont mis au courant, les proches, tout animés d’une sincère sollicitude, peuvent en venir à donner des conseils très directifs et peu nuancés à l’infortuné, comme "quitte-le, il est ignoble".
Or, dans un second temps, le conjoint initialement bouleversé peut réaliser que les coups d’un soir de son partenaire ne sont pas forcément incompatibles avec le maintien d’une relation de qualité, mais il peut rester prisonnier des pressions de ses proches et se sentir acculé à une séparation qu’il ne désire en définitive pas. Il peut même arriver que la sollicitude de l’entourage se mue menaces : .
: "Maintenant tu choisis, c’est nous ou c’est lui".
Dans des témoignages que j’ai pu lire, la conjointe est assez souvent la personne qui détecte le problème d’addiction du conjoint ou en tout cas qui le met sur la table et en fait une problématique majeure qu’il faut traiter.
Alors que du côté de l’addict, on peut voir souvent la minimisation ou le déni du comportement sexuel problématique, surtout au début.
On peut aussi ajouter à cela une normalisation de la consommation de la pornographie dans la société actuellement.
Ces différents éléments démontrent une complexité autour de la représentation personnelle autour de la sexualité, de sa pratique et de ce que l’on peut considérer comme addictif ou problématique.
Philippe Kempeneers : Il est difficile de définir l’addiction sexuelle dans des termes normatifs : quelles sont les normes en matière de comportement sexuel ?
On peut constater que certains comportements sexuels occasionnent des souffrances, qu’ils sont perçus comme des excès et qu’ils mobilisent à ce titre une certaine intolérance.
Déterminer une notion objective d’addiction reviendrait à décréter qu’il existe un seuil à partir duquel le problème relèverait de la personne qui produit le comportement plutôt que de celle qui le désapprouve et le considère comme excessif : c’est délicat. La notion d’addiction comporte nécessairement une part de subjectivité, elle renvoie aux aspects relatifs de la tolérance, elle questionne non seulement un comportement sexuel donné mais aussi la relative intolérance individuelle, sociale et culturelle dont ce comportement est l’objet.
Note : consultez la page L'addiction au porno pour avoir une idée de ce qu'est le DSM - une fraude et une entreprise criminelle.
Mais finalement, dans notre pratique thérapeutique, nous les psys, nous ne sommes, que peu intéressés par l’établissement d’un diagnostic formel. L’essentiel est pour nous d’ accueillir des souffrances et de prendre en considération l’ensemble des facteurs qui les déterminent. La détresse est peut-être intrinsèque au comportement lui-même mais elle peut être intrinsèque aussi à la manière dont ce comportement réputé excessif est accueilli par l’autre, voire par soi-même
Donc en tant que thérapeute, on va forcément travailler sur les deux tableaux.
Votre comportement sexuel est-il normal ou pas ? Peut-être que c’est votre vision de la normalité qui est à l’origine de votre souffrance, pas seulement le caractère excessif du comportement en question.
Nous les psys n’avons pas d’a priori bien marqué sur ce qu’il faudrait travailler en priorité.
Il fut un temps de plus grande intolérance où des gens vivant mal leur homosexualité par exemple, la considérant comme « anormale », s’adressaient à des professionnels de la santé qui s’appliquaient à traiter l’homosexualité. Aujourd’hui la question se poserait plutôt en d’autres termes : comment aider la personne à assumer en relative quiétude sa sexualité homo-orientée ?
Effectivement, les personnes que l’on accueille en consultation viennent avec leurs représentations de la normalité. Selon les situations, le focus sera placé tantôt sur la modification des comportements, tantôt sur leur acceptation et sur les représentations de la normalité. On a le plus souvent affaire à un mélange des deux types de considérations.
La sexualité est quelque chose de très personnel par ses différentes formes d’exercice, de ce que chacun en attend et c’est quelque chose qui évolue au gré de nos expériences et questionnements.
Un axe de travail pour la personne en proie à un comportement sexuel problématique est de travailler sur ces questions en direction d’une sexualité plus saine et satisfaisante.
Philippe Kempeneers : Il existe plusieurs visions de la sexualité, plusieurs sensibilités, plusieurs façons de trouver du plaisir
Des problèmes peuvent surgir quand un mode d’exercice particulier de la sexualité se positionne en norme, comme étant absolu et universel. Il tend du coup à exclure d’autres sensibilités, à laisser des tas de choses dans l’ombre.
La rencontre d’autres formes de sensibilité érotique peut être une source de motivation au développement personnel. Souvent les personnes avec un problème d’addiction ont des plaisirs qui se restreignent au seul comportement addictif.
Dans le cas de l’addiction sexuel, une partie du job thérapeutique consiste dès lors à essayer de s’ouvrir à d’autres plaisirs potentiels, à se ré-érotiser d’une certaine manière, à développer des sensibilités inexploitées. .
Une personne peut par exemple très bien connaître le plaisir inhérent à une excitation fortement génitalisé qui s’accroît jusqu’à l’orgasme, il représente pour elle l’essentiel de la sexualité. Mais peut-être connaît-elle moins bien toute une série de plaisirs plus sensuels, moins génitalisés, peut-être est-elle moins sensibilisée au plaisir d’une excitation qui monte et qui descend, puis qui remonte et redescend, peut-être goûte-t-elle moins aux joies dune complicité avec un partenaire , etc…
Tous ces éléments peuvent aussi faire partie de l’érotisme, il s’agit d’élargir l’éventail des plaisirs, de décloisonner l’éprouvé sexuel.
Par ailleurs, dans le traitement des addictions, quelles qu’elles soient, on a pour habitude de considérer le comportement addictif comme une réponse inadaptée au stress. Il s’agit dès lors aussi d’identifier les sources de stress qui déclenchent les comportements addictifs pour essayer d’y apporter d’autres réponses, des réponses mieux adaptées.
Le comportement addictif peut ainsi être vu comme l’expression d’un manque à vivre, d’un manque à gagner en terme de plaisir, comme l’expression d’une insatisfaction dans l’existence.
Les motifs qui poussent une personne à trouver refuge dans le comportement addictif sont divers :
le manque de diversité des plaisirs, le manque de ressources s’agissant de prendre soin de soi et d’améliorer sa satisfaction dans l’existence, tout cela peut faire l’objet d’ interventions spécifiques.
Prenons l’exemple d’un jeune homme qui a des difficultés dans la sexualité relationnelle.
Les plaisirs éprouvés dans la consultation de porno sont très importants mais quand il est en présence d’une partenaire hétérosexuelle, il commence à se sentir très inquiet : "Est-ce que je vais assurer ?"
Une série d’inquiétudes vont germer en lui qui le rendront difficilement capable d’éprouver du plaisir sexuel avec une partenaire.
Dans ce cas-ci, traiter le problème addictif passera notamment par un travail permettant une meilleure sexualité relationnelle. On interrogera par exemple ses angoisses d’échec : est-ce que le partenaire accorde tellement d’importance aux performances en matière d’érection ?
On s’interrogera aussi sur la possibilité de développer la gestuelle érotique : Quid des attouchements non pénétratifs, des plaisirs sensuels d’une nature autre que génitale ? Etc...
Le psy ou le sexologue sera là pour accompagner la personne à récupérer ou à développer une série de plaisirs qui demeuraient pour elle insoupçonnés.
Le déni de l’addict sur sa condition (au moins pendant un certain temps) est souvent quelque chose qui revient dans les témoignages des conjointes que j’ai pu lire. Peut-on s’arrêter quelques instants sur cette situation ?
Philippe Kempeneers : Tout d’abord, notons que la personne réputée addict ne voit pas nécessairement son comportement comme addictif.
Rappelons-nous que ce qui rend un comportement excessif ne tient pas simplement à la nature du comportement lui-même mais aux problèmes qu’il engendre : perte d’argent, de temps, risques d’IST, etc... et, bien sûr, la réprobation sociale et celle du partenaire. Pour la personne concernée, l’essentiel du problème peut se situer à ce dernier niveau, c’est surtout la réprobation du partenaire qui est jugée excessive, le comportement lui-même n’engendrant que peu d’autres inconvénients.
La souffrance de l’addict n’est pas exclusivement dûe à son comportement lui-même mais aussi à des facteurs extrinsèques à ce comportement, comme le regard que porte le partenaire sur la difficulté.
Dès lors, et c’est vrai pour toutes les addictions, le traitement n’a pas toujours pour but unique de réduire l’occurrence du comportement addictif, il peut viser aussi à réduire les difficultés extrinsèques produites par ce comportement comportement, diminuer les coûts si vous voulez.
Dissimuler son trouble à son partenaire est une manière spontanée que l’addict a trouvé pour réduire les risques : "mon partenaire je l’apprécie, je ne souhaite pas qu’il souffre, je veux que ma relation avec avec lui reste bonne, je ne souhaite pas que notre relation ou/et mon partenaire soit troublée par la connaissance de ma difficulté sexuelle".
Un élément d’explication supplémentaire tient à la nature même de la dynamique addictive.
Quand la personne reconnaît un problème avec ses comportements sexuels et qu’elle cherche à faire évoluer la situation en essayant de réduire l’émission de ses comportements, la progression est souvent irrégulière, le cheminement est parsemé d’hésitations, de chutes et de rechutes, l’évolution tend à s’opérer en dents de scie.
Un fort désir de progrès peut être entrecoupé de phases d’hésitation, on arrive tantôt à maintenir une certaine abstinence en matières de consultation de porno mais l’envie est forte, parfois on craque, il arrive même qu’on se décourage, puis on se relève, on manque encore de trébucher mais on se redresse, etc…
Informer sa partenaire de ses hésitations, de ses envies de recommencer, de ses régressions, de ses moments de découragement, c’est prendre le risque de l’inquiéter. Certains craignent que, comprenant mal leurs hésitations et difficultés, leur partenaire ne réagisse de façon contreproductive, en s’alarmant et en exerçant des pressions qui vont constituer un stress supplémentaire. On peut donc choisir de cacher ses difficultés à sa partenaire, c’est une manière de la ménager et de se ménager.
La partenaire est en général très demandeuse que l’addict évolue et elle peut être pour lui une équipière précieuse mais l’équipe a des limites aussi car la partenaire a des attentes particulières, elle n’est pas totalement neutre par rapport à la progression de l’addict.
Elle a peut-être des attentes d’abstinence radicale et dès lors, l’addict peut être motivé à la ménager sous cet angle en lui cachant ses hésitations, ses éventuelles reconsommations.
L’évolution de la situation comporte des enjeux pour la partenaire. Il est certain que si la partenaire peut être aidante, soutenante, si elle peut évoluer avec l’addict dans la découverte de nouveaux plaisirs, il est certain aussi que l’équipe a ses limites. La partenaire n’a pas la même indifférence qu’un thérapeute à l’égard des difficultés de l’addict, on comprend dès lors que ce dernier peut préférer ne peut pas tout exprimer à sa partenaire.
Le conjoint veut souvent aider l’addict à améliorer sa situation mais sa position est difficile car touché par le comportement addictif, il a la position de partenaire de vie, n’est pas formé ou peu de manière générale aux mécanismes de l’addiction et à l’aide psychologique. C’est difficile pour le conjoint d’évoluer au sein d’une problématique addictive.
Philippe Kempeneers : Le conjoint a besoin d’avoir une meilleure perception de la nature de la difficulté addictive et des enjeux de la thérapie. C’est à cette condition que nous arriverons à en faire un co-thérapeute efficace qui va pouvoir aider l’addict à surmonter sa difficulté.
Des discussions entre la conjointe et le thérapeute vont être utiles pour favoriser une compréhension judicieuse des processus à l’œuvre.
La place du conjoint est intéressante à divers titres.
La découverte par le conjoint de la sexualité parallèle de l’addict peut être vécue comme un traumatisme. Le conjoint avait une certaine représentation de son couple que cette découverte va la mettre à mal. C’est une importante perte de repères.
S’en suit possiblement des affects dépressifs, de l’anxiété, un sentiment d’abattement, de colère : ces réactions sont tout à fait normales en cas de stress majeur.
Il est important que le conjoint puisse en parler, il est important que l’on puisse accueillir ces manifestations post-traumatiques pour ce qu’elles sont, il est important d’aider les gens à les gérer de façon à éviter qu’elles ne contribuent à détériorer plus encore la situation.
Le conjoint peut par ailleurs aider l’addict à mieux gérer les situations à risque. On peut par exemple lui confier ses appareils numériques de manière à écarter la tentation de visiter des sites. Le conjoint peut être à l’écoute aussi dans les moments difficiles.
Le conjoint est parfois partie prenante de la problématique aussi. Il arrive que le comportement sexuel problématique soit pour partie une forme de réponse à des conflits conjugaux ou à une sexualité de couple insatisfaisante.
Les techniques de thérapie de couple ou de sexothérapie vont s’avérer souvent efficaces dans les traitements des addictions sexuelles.
Mais attention, le traitement d’un trouble addictif ne peut pas se limiter à n’être qu’une thérapie de couple, et il ne s’agit surtout pas de déresponsabiliser l’addict lui-même par rapport à un comportement qui lui appartient en propre.
Au sein d’un couple, il peut y avoir des problèmes fonctionnels chez l’addict, le conjoint et dans la relation de couple.
Si un couple recherche une aide auprès de thérapeutes, quelles approches conseilleriez-vous ?
Philippe Kempeneers : Un des messages à faire passer est que toute souffrance mérite assistance.
La souffrance relative à une addiction n’est pas exclusivement la souffrance de la personne addict, c’est aussi celle du conjoint. Tout le monde mérite de l’aide.
Pour autant, la thérapie d’un trouble addictif n’est pas une thérapie de couple. Même s’il est intéressant d’interroger la dynamique du couple et d’intervenir éventuellement à ce niveau, la thérapie d’un trouble addictif reste essentiellement un traitement individualisé centré sur la personne en proie au problème d’addiction.
Il est intéressant de permettre au couple de s’exprimer mais, comme nous l’avons précisé, le couple est une équipe qui a des limites, l’addict ne va pas pouvoir tout dire au partenaire.
Envisager d’entrée de jeu le traitement d’une addiction par la thérapie de couple n’est, je pense, pas la solution idéale.
Faire intervenir des techniques de thérapie de couple et de sexothérapie au besoin dans l’évolution d’un trouble addictif me parait en revanche très important et efficace.
Si le conjoint souffre, il est important aussi de l’accompagner individuellement car les moments de thérapie de couple ne sont pas forcément suffisants pour gérer sa propre souffrance dans toute sa complexité. Souvent le conjoint gagne à aller s’exprimer chez un thérapeute de son côté, histoire de trouver un cadre permettant une parole plus libre et franche.
La thérapie de couple qui serait engagée suite à la découverte d’un problème addictif peut être l’occasion pour le couple de mettre sur la table des problèmes de couple récurrents qu’il pourrait rencontrer et s’atteler à les résoudre.
Philippe Kempeneers : Prenons l’exemple d’un homme qui a une sexualité essentiellement liée à la consultation de pornographie. Grâce à ce type de sexualité, il évite une série de difficultés qui ont trait à la sexualité relationnelle : des anxiétés de performance ou autres angoisses.
Il peut aussi éprouver des rancunes vis-à-vis de sa partenaire, des rancunes liées à des enjeux de pouvoir. Et notamment, le fait que sa partenaire lui enjoigne expressément d’aller "se faire soigner" lui apparaît comme l’expression d’une prise de pouvoir.
Dans cet exemple, l’addict peut se demander si vivre une sexualité plus épanouie est possible dans la configuration actuelle du couple, et la réponse pourrait être non si les difficultés relationnelles lui semblent insurmontables.
Il peut donc être intéressant de s’interroger sur des changements possibles au niveau du couple, et d’en discuter éventuellement avec le thérapeute principal de l’addict en invitant le conjoint.
Il est un fait aussi que les problèmes de couple soulevés peuvent dépasser les moyens d’intervention du thérapeute qui s’occupe individuellement de l’addict.
Il peut être alors indiqué d’envisager parallèlement une thérapie de couple, le couple sera dans ce cas orienté vers un thérapeute qui va recevoir les 2 personnes sur un mode beaucoup plus égalitaire et qui va traiter spécifiquement les difficultés conjugales.
On a parlé tout à l’heure du tsunami que peut vivre le conjoint quand il découvre un pan caché de la sexualité de l’addict.
Le conjoint peut considérer cela comme une infidélité ou comme une trahison à un pacte explicite ou implicite que le couple avait passé au sujet de la sexualité au sein du couple.
Philippe Kempeneers : La souffrance de la conjointe réfère parfois à l’image qu’elle a d’elle-même, elle peut ressentir une blessure narcissique : "Si je ne suffis pas à combler les appétits sexuels de mon partenaire, que vaux-je ?"
On sent qu’il faut traiter le conjoint dans cette situation vécue par lui comme vexante.
Il est vrai que le porno met en scène toute une série de stimuli très efficaces, les fantasmes, les morphologies, les situations sont présents en grande quantité et en variété inépuisable.
Cela fait référence à la notion de superstimulus proposée par les ethnologues : des stimuli artificiels, capables de stimuler un individu beaucoup plus puissamment que ne le ferait un stimulus naturel.
On peut imaginer encore que la masturbation ou l’utilisation de sex toys est parfois tactilement plus efficace que ce que pourrait produire un partenaire.
Pour autant, les gens recherchent généralement plus que cela pour leur bonheur sexuel et relationnel, il y a d’autres composantes qui entrent en ligne de compte : des composantes relationnelles, un partage d’intimité qui poussent les personnes à la recherche d’un partenaire réel. Les joies érotiques ne se limitent pas à des stimuli visuels et tactiles, tout puissants soient-ils.
Le bonheur sexuel d’un couple dépasse de loin le cadre étroit de la stimulation pornographique ou la stimulation par des jouet sexuels.
Il s’agit de rétrocéder au couple la complexité de la sexualité et de tempérer des angoisses d’abandon (liées au sentiment de sa propre valeur, au risque de rejet), lesquelles seraient peut-être indûment projetées sur un exercice de la sexualité qui, sans cela, serait sans doute considéré comme acceptable ou en tout cas tolérable.
D'autres lectures sur l'addiction et le couple :
- Aider les couples à mieux fonctionner grâce aux TCC, article de la revue Revue Francophone de Clinique Comportementale et Cognitive 2020.
- Chapitre Addiction et couple du livre Le couple en thérapie comportementale, cognitive et émotionnelle (2018).